. Nettoyage sous la surface . [~ PV Utopie Sanglante ]

Shitaï écrasa la cigarette à peine entamée qu'il venait d'allumer sur le sol, la réduisant à l'état de crêpe sous sa chaussure et lui faisant subir sans doute une torture inimaginable. Même les clopes, il aimait les faire souffrir. Les broyer, leur tordre les entrailles et leur arracher les globes oculaires de leurs orbites pour les faire crier de douleur à en déchirer les tympans. Sa victime, quant à elle, n'échapperait que de peu à un traitement pareil. Dans son métier, il fallait privilégier la discrétion.... Bien malheureusement. D'un côté, cela pouvait apparaître comme un jeu, une course poursuite avec la police qui ne devait pas le remarquer, ne pas connaître son existence. Le risque l'amusait, l'excitait et lui donnait des ailes.
Le métro arriva dans un grand bruit de freins usés par le temps et s'arrêta dans la station, soufflant les cheveux mi-longs de Shitaï dans sa figure, accompagnant dans leur mouvement la blouse immaculée du jeune homme. Les portes s'ouvrirent pour laisser passer un flot de gens pressés, regardant sans cesse leur montre ou papotant, beaucoup plus à l'aise que leur compatriotes en retard. Parmi eux se trouvaient des hommes d'affaire, reconnaissables à leurs costumes irréprochablement stricte et droit ainsi que leur mallette noire horriblement cliché.
La personne à liquider faisait partie de cette catégorie et ne fut pas difficile à identifier. Le chat-garou, comme Shitaï s'appelait souvent lui-même, n'avait pas eu de mal à retrouver sa trace dans le métro grâce à son flair félin et à son air de la discrétion pour les filatures. A présent, il ne se trouvait plus qu'à quelques mètres de lui, se laissant détailler par son assassin. C'était un trafiquant d'armes, un concurrent de la société illégale qui l'engageait. Ce matin, le Dévoreur de Cadavre avait déjà liquidé les trois autres patrons qu'il devait assassiner. Notre homme était le dernier.
Sa figure montrait bien la peur qui l'habitait, celle qu'il avait commencé à ressentir lorsque ses associés avaient quitté ce monde, présageant son propre départ. De la sueur coulait sur sa tempe à la peau halée, descendant le long de son visage anguleux. Des cheveux bouclés noirs tombaient sur sa tête terrorisée jusqu'à ses paupières coupant avec des cils noirs surdéveloppés des prunelles sombres. Shitaï se glissa dans la foule remontant les escaliers, marchant juste à côté du grand homme qui chuterait bientôt de toute sa hauteur pour atterrir sur le sol, mort. Il glissa sa main sous sa blouse et extirpa de la poche intérieure un revolver auquel avait été ajouté un silencieux. Le cachant avec l'étoffe blanche, ne laissant dépasser que le canon, l'assassin était impassible. Le coup partit et la balle s'incrusta dans la poitrine du trafiquant qui s'effondra presque immédiatement sur les marches que la foule grimpait. Le tueur ne s'arrêta pas et rangea simplement son arme à sa place pour ne laisser échapper qu'un sourire satisfait, machiavélique et sadique. Il aimait trop tuer !
Les gens ne remarquèrent même pas la mort de l'homme et ne s'arrêtèrent pas dans leur course éternelle. Le corps croupissait là, piétiné par les plus maladroits. Shitaï se retourna et émergea à la surface pour fumer un semblant de cigarette. Il faisait ça pour ne pas rester planté là sans rien faire, juste pour avoir l'impression qu'il était occupé. Après avoir inspiré un coup dans son rouleau de tabac, il le jeta à terre, dégoûté par l'odeur et le goût, et redescendit dans le métro. En passant près du cadavre autour duquel la foule se pressait maintenant, il ne s'arrêta pas et pensa que la prochaine fois qu'il le reverrait, ce serait sans doute à la morgue.
"A bientot" pensa-t-il avec un sourire narquois.
Soudain, une odeur lui parvint au nez et il reconnut celle de son clan. Cependant, ce chat -muté en humain- lui était inconnu. Il suivit le parfum, d'ailleurs pas désagréable du tout, jusqu'à son origine et une silhouette lui apparut. Des cheveux bruns, une fille de dos. Elle sentait bon.

Le métro. Nombre de fois elle l'avait pris depuis la mort de sa mère et même avant. C'était un de ses endroits favoris pour l'entraînement. Les souterrains étaient en permanence remplis de cibles potentielles, de futures victimes. Des bribes de souvenirs lui revenaient, elle se revoyait en train de tuer sa mère, dans le métro, vers 19h. Un rictus mauvais se forma doucement sur ses lèvres, quel joie ça avait été. Un homme grand, blond et affublé d'un costume et d'une malette la bouscula fortement ce qui lui valut un grognement. Une autre image s'imposa à ses yeux, elle, sa main dans celle de sa génitrice, joyeuse. Elle avait assassiné son premier homme d'affaire.

Ceux-là, elle ne pouvait vraiment pas les blairer. Ces gens pressés qui ne faisait attention à rien d'autre qu'à leur montre. Des égoïstes finis, obnubilés par leur image de marque. Or, les tunnels en étaient bondés. En fait, c'était en partie pour ça qu'elle aimait tant ce moyen de transport, mais aussi parce que les gens qui le prenaient ne remarquaient jamais les cadavres. Un homme qui s'effondre, raide mort ne leur faisait ni chaud ni froid, il le piétinait. Chisetsu pouvait laisser libre cours à son instinct de tueuse et massacrer ces pauvres bipèdes stupides. Le métro, quelle invention fabuleuse...

Elle n'était surement pas la seule à penser ça et d'ailleurs, cela se confirma quelques minutes après. Un léger bruit de balle parvint aux oreilles de notre demoiselle, un coup de feu avait été tiré. Un homme habillé d'un costume noir, sans doute repassé la vieille, et d'une cravate grise s'écrasa contre le sol, mort. Une cartouche bien placée, au milieu du coeur. Le tueur était rapide mais pas imperceptible, du moins pour une fille aux yeux de félins comme elle. Il est vrai que les autres passant n'avaient pas, pour changer, remarqué la présence du corps dépourvu de vie, de la dépouille. Chisetsu rentra dans le véhicule et s'adossa à une des barres métalliques verticales dont était parsemé le métro. Elle prit son ipod et enfonça ses écouteurs dans ses oreilles. Une effluve inconnue mais malgré tout familière lui emplit les narines. Un membre de son clan se trouvait dans son dos. Elle se retourna et découvrit l'assassin de tout à l'heure. Un homme grand, brun avec pour manteau une longue veste blanche. Après quelques minutes d'observation, elle lui adressa la parole.

- Pas mal mais avec quelques défauts quand même. Ton coup était audible mais bien sur, ici, tu n'as pas vraiment à t'en faire. Oh et puis, lâche les clopes, simple conseil.

Elle retourna à sa musique sans même se présenter. Il faut avouer que les relations sociales, ce n'était pas tellement son truc. Les exceptions existent mais avec Chisetsu, elles étaient assez rares...

Shitaï suivit la jeune femme à l'intérieur de l'appareil fraîchement arrêté dans la station. Il ne savait pas où il irait, jusqu'où le métro le conduirait. Mais il s'en fichait. Au diable les chaînes et vive la liberté.
Une de ses mains agrippa les barres verticales métalliques et il fixa le chat-garou aux cheveux bruns qui lui tournait le dos. Mais plus pour longtemps. Celle-ci fit volte face et braqua sur lui, des écouteurs dans les oreilles, ses yeux d'un marron sombre. Il sourit malicieusement sans s'en rendre compte. Cela lui arrivait tout le temps lorsqu'il voyait une nouvelle proie sentimentale, un coeur à prendre et à briser, une âme avec la tête sur les épaules qui serait bientôt décapitée. Métaphore, bien entendu... Quoique?
Shitaï l'entendit lui proférer ses commentaires sur son boulot et cela lui fit soudainement penser à son mentor défunt. Enfin non. Sa tutrice de l'époque, elle était moins jolie. Elle n'avait pas cette allure élégante et distinguée, mais plutôt un air qui paraissait sûr d'elle alors qu'elle faisait pitié. Il ne trouvait plus les mots pour l'expliquer. Soit.
Il s'entendit donc dit que son travail n'était pas parfait... Quoi? Pardon? Elle pouvait faire mieux, peut-être? Et il devait lâcher la clope? Encore faudrait-il qu'il eût commencé. C'était juste un tic qu'il avait pris depuis son apprentissage avec Chi. Il n'était pas accro. Il n'aimait pas le tabac.
- Comment aurais-tu tué un homme autrement que ça? C'est le plus simple, le plus rapide. Nettoyer quelqu'un dans une foule, c'est augmenter le nombre de suspects à l'infini. Le métro, tout le monde est pressé. Personne ne s'arrête ni ne s'inquiète. Ca te laisse le temps de filer.
Tu n'es pas d'accord avec le flingue? Tu sais, mon briquet fait exactement le même bruit que ce silencieux. Impossible d'identifier un simple "clic" à un coup de feu. Ce minuscule son te chipote quand même? Tu aurais préféré le couteau? Beaucoup trop voyant. Si tu lui enfonces le couteau dans le coeur, il a le temps de pousser un cri de douleur, et c'est moins discret. Au pire, si on l'entend pas, on risque de le voir. Le sang gicle quand tu enlèves l'arme du corps. Tu en auras à tous les coups partout. Les gens sont moins idiots, dans ces cas-là. Tu veux le laisser là? Tu as pensé aux traces identifiables scientifiquement? Les empruntes, bouts de peau. Des flics seraient même capables de retrouver à qui est l'arme, parfois, dit Shitaï en haussant les épaules, regardant la jeune femme par-dessus ses lunettes de verre teinté. Elle l'amusait. Et il savait très bien qu'elle l'entendrait, même à travers ses écouteurs dont le son battait ses tympans. Puis, il détourna la tête et répondit à sa dernière remarque.
-Et je ne fume pas. Je m'occupe.

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